lundi, février 25, 2008

L'histoire sans fin

C'est parti de peu de choses.
Une mention au détour d'un message d'un ami. Même pas un mail puisque nous étions en train de chatter.
Les paroles s'envolent...

"Attention c'est le début de la schizophrénie littéraire ça... Affûte-toi un ou deux noms de plus!"

Parfois il suffit d'un mot, comme un interrupteur.

"Nom".

But above and beyond there's still one name left over,
And that is the name that you never will guess;
The name that no human research can discover--
But THE CAT HIMSELF KNOWS, and will never confess.
When you notice a cat in profound meditation,
The reason, I tell you, is always the same:
His mind is engaged in a rapt contemplation
Of the thought, of the thought, of the thought of his name:
His ineffable effable
Effanineffable
Deep and inscrutable singular Name.
Thomas Stearns Eliot, The naming of cat

Je me souviens de ce poème, dans sa version traduite en Français. J'avais étant petite une admiration quasi religieuse pour les chats. Je collectionnais les magazines, les photos, les images, les livres, les textes, les poèmes... Parmis eux se trouvait "Comment nommer un chat", et je ne l'ai jamais oublié.

C'est le nom que jamais nul ne peut deviner,
C'est le nom dont jamais nul ne saura le nom,
Le chat qui le connaît ne veut le révéler...

Ce n'est que récemment qu'il m'a été donné la chance de vivre avec un chat. Quand je la vois en profonde méditation, la queue battant légèrement à son côté, je me dis qu'elle doit être plongée dans quelque haute réflexion philosophique à jamais inaccessible. Son troisième nom. Son véritable nom...

Je me souviens aussi de ce livre intitulé "L'histoire sans fin", un gros tome aux feuilles épaisses et rugueuses, plus tard adapté au cinéma.

"La petite Impératrice du royaume de Fantasia est gravement malade. Et avec elle, c'est le monde entier qui s'écroule, rongé par le Néant. Seul un enfant des Hommes peut la sauver, car lui seul a le pouvoir de lui trouver un nouveau nom."

Je me souviens aussi de "The naming of names" de Ray Bradbury. L'art de nommer les noms.
Ce texte se rapporte aux Chroniques martiennes, même s'il n'en fait pas directement partie. Ray Bradbury y réfléchit sur les noms martiens donnés aux lieux avant que les Hommes ne viennent envahir cette planète. Ces noms étaient poétiques et doux, aussi vaporeux qu'un pan de brume. A l'arrivée des humains, ils furent oubliés et remplacés par des noms de fer et de métal, des noms rugueux, des noms d'humains cherchant à graver leur existence dans la pierre pour l'éternité.
Oublier un nom, est-ce que ce n'est pas aussi oublier toute une identité?

Je me souviens enfin de ce cours de philosophie en Terminale, pendant lequel nous avions étudié un court extrait de la Genèse. A sa naissance, tous les animaux passent devant Adam afin qu'il les nomme et puisse asseoir son pouvoir sur eux.

Nommer, créer, maîtriser.
Qu'y a-t-il donc dans un nom?
Qu'y a-t-il dans nos noms?

Il y a d'abord le prénom officiel, le nom choisi par les parents, longtemps mûri avant la naissance de l'enfant. Ce nom est important car il nous reste collé toute notre vie, comme marque de notre singularité dans notre famille.
Ensuite viennent les deuxième, troisième, voire quatrième prénoms. Souvent, ils nous rattachent à d'autres membres de la famille, décédés ou non, ou à des personnes illustres. Des noms sensés nous inspirer le long de notre vie par l'exemple qu'ils forment.
Puis vient le ou les patronymes, les noms de famille. De quel arbre est-on la petite feuille tremblante au printemps de sa vie. Ce nom est fixe pour les hommes, fluctuant pour les femmes encore maintenant. Pour elles, se marier peut signifier abandonner ses racines pour se greffer sur un nouveau tronc, s'arracher symboliquement à l'environnement dans lequel elles ont crû.
Des noms multiples qui nous attachent à une histoire plus grande que la nôtre. Des noms familiaux. Des noms sur lesquels nous n'avons aucune prise.

Puis viennent les surnoms. Amicaux, affectueux ou bien encore méchants... Une fois de plus, nous ne les choisissons pas. Ce sont les autres qui nous les donnent. Ce genre-là naît encore dans l'esprit d'autrui, dans leur manière de nous voir, de nous juger. Mais les surnoms ne sont pas gravés dans le marbre. Un surnom peut être perdu, remplacé, oublié.

Reste la dernière catégorie, le pseudonyme.
pseudonyme : du grec pseuds, faux, et onuma, nom.
Le pseudonyme est donc un faux nom. Dans la littérature, on appelle aussi cela un "nom de plume". J'aime particulièrement cette image évoquant à la fois l'écrivain et l'oiseau.
Sur Internet, ils sont regroupés dans la large catégorie des "pseudos". Plus larges que de simples faux noms, ils sont une facette de nous-mêmes, un bien précieux nous définissant parfois mieux encore que tous nos noms officiels.
L'une des questions les plus fréquentes sur les forums est : "D'où vient votre pseudo?". Donner la clé du pseudo revient à donner la clé permettant de comprendre l'être complexe qui se cache en-dessous.
Peut-on alors considérer qu'ils ne sont que de faux noms?
Comment expliquer alors la frustration ressentie lorsque, sur un site web, une inscription est refusée car "Le pseudo est déjà pris" ?
Ne seraient-ils pas des tentatives maladroitement humaines de trouver notre propre et "effanineffable" nom?

Comme dans l'Histoire sans fin, tout recommence dans un grain de sable.
Un nom.
Un mot si court, si simple, à peine trois lettres de long.
Pourtant comme tous les "débuts", il contient l'infinité des possibilités de création.
De ce grain de sable peuvent naître des créatures fabuleuses, des royaumes immenses aussi merveilleux que Fantasia. Tout ce dont il a besoin ce sont des vœux du petit d'homme, matérialisation des désirs et des volontés intérieures.

Parfois le cœur est plein de larmes, de tristesse, et il déborde.
Dans le meilleur des cas, ce débordement se matérialise sous forme de mots écrits.
Le meilleur des cas, oui, car il permet un retour sur soi, une distanciation que les mots dits ne permettent pas.
Les paroles s'envolent mais les écrits restent.
L'écriture reste pour moi le meilleur des exorcismes.

Un nom.
Me faut-il un nouveau nom afin de tout recommencer?
Repartir du grain de sable initial afin de construire une nouvelle vie?

Mon existence présente me semble collante, gluante, insatisfaisante en son état actuel. Chercher un nouveau nom, c'est se regarder dans un miroir et se demander: "Qui suis-je ?"
Mais comment un seul mot pourrait-il représenter l'ensemble de ce qui me compose?
Et comment pourrais-je aussi atteindre l'essence, le Ghost, l'âme...
Qui sait?

Oh Dream, éternel rêveur, plonge ta main dans la bourse à ta taille. Puisses-tu répandre sur mes yeux le sable enchanteur, prélude aux rêves les plus fous. Que de chaque grain naisse une image indescriptible qu'aucun mot jamais ne pourra remplacer.


Je suis l'oiseau-nuée...
Mes plumes sont des miroirs reflétant le monde. Et mes yeux deux puits où tout se perd. Je suis l'oiseau-nuée aux ongles de saphir, gravant des mots de feu dans le ciel étoilé, pleurant des larmes chaudes sur la misère du monde.

Je m'envole, quittant cette terre pour des cieux infinis où la seule limite est ma propre fatigue. Et je meurs en chemin afin de voler plus loin.

Je suis l'oiseau-nuée, multiple, infini, qui a perdu son âme à vouloir trop rêver.
Mais si mon corps gît ici je suis toujours vivant, car mes enfants voraces sont vos rêves germants.

vendredi, février 01, 2008

Do not go gentle into that good night

Un petit exercice de traduction, en cette fin de semaine... Je suis tombée par hasard sur ce poème de Dylan Thomas. J'espère que vous l'apprécierez.


Ne t'en vas pas soumis en cette douce nuit
de Dylan Thomas

Ne t'en vas pas soumis en cette douce nuit,
Le grand âge devrait flamboyer et protester devant la fin du jour;
Rage, enrage face à la mort de la lumière.

Même si les hommes sages à la fin savent que les ténèbres sont justes,
Car leurs mots n'ont induit aucun éclair, ils
Ne s'en vont pas soumis en cette douce nuit.

Les hommes bons, lors du dernier adieu, pleurant combien radieux
Leurs frêles gestes auraient pu danser en une verte baie,
Ragent, enragent face à la mort de la lumière.

Les hommes sauvages qui rattrapèrent et chantèrent la course du soleil,
Apprenant, bien trop tard, l'avoir contrarié en son chemin,
Ne s'en vont pas soumis en cette douce nuit.

Les hommes graves, proches de la mort, voyant d'un regard s'envoilant
Que des yeux aveugles peuvent flamber tels des météores et être gais,
Ragent, enragent face à la mort de la lumière.

Et toi, mon père, là, en ce triste apogée,
Maudis, bénis-moi maintenant de tes larmes fières, je t'en prie.
Ne t'en vas pas soumis en cette douce nuit,
Rage, enrage face à la mort de la lumière.


                                  



Texte original

Do not go gentle into that good night,
Old age should burn and rave at close of day;
Rage, rage against the dying of the light.

Though wise men at their end know dark is right,
Because their words had forked no lightning they
Do not go gentle into that good night.

Good men, the last wave by, crying how bright
Their frail deeds might have danced in a green bay,
Rage, rage against the dying of the light.

Wild men who caught and sang the sun in flight,
And learn, too late, they grieved it on its way,
Do not go gentle into that good night.

Grave men, near death, who see with blinding sight
Blind eyes could blaze like meteors and be gay,
Rage, rage against the dying of the light.

And you, my father, there on the sad height,
Curse, bless me now with your fierce tears, I pray.
Do not go gentle into that good night.
Rage, rage against the dying of the light.




Note (14/05/2015) :
Quelques années après ce jour de 2008 où j'ai fait cette petite tentative, j'ai eu la surprise de redécouvrir ce poème dans le film "Interstellar" de Christopher Nolan. Je suis alors revenue à ce texte avec encore davantage d'émotions. Merci à tous ceux qui l'ont apprécié.